Alimata Coulibaly, présidente du Réseau national des Transformatrices des Produits Agricoles de Côte d’Ivoire (RET-PACI), a insisté mardi sur la nécessité de transformer les produits agricoles locaux, ce qui permettra de créer des emplois et de la richesse, lors d’un entretien avec ALERTE INFO.

Quels sont les objectifs visés par le réseau que vous dirigez ?

Le RET-PACI a été mis en place pour interpeller nos autorités, les bailleurs, sur le fait que la transformation est créatrice d’emplois, de richesse. C’est la transformation des produits locaux qui va tirer la production vers le haut. Depuis fort longtemps on finance la production mais ce jour, on constate que nos parents planteurs demeurent dans la précarité. Donc nous pensons que c’est la transformation qui va permettre de donner un niveau de vie élevé à toute la chaîne des valeurs. Un exemple, j’ai mon unité de transformation et je prends les matières premières chez un producteur, ce dernier ne produira plus pour sa propre subsistance mais également pour pouvoir vendre sa matière première à Alimata Coulibaly. Avec le temps, c’est sûr que j’aurai des marchés en tant que transformatrice, et par ricochet lui en tant que producteur aura plus de demandes de matières premières. Je suis donc convaincue que c’est la seule façon de sortir nos parents planteurs de la précarité.

Vos débuts en tant que transformatrice ont-ils été aisés ?

Alors là, pas du tout. J’ai commencé en 2004, il y avait la guerre dans mon pays et j’ai dû stopper pendant un moment. Puis j’ai repris quand il y a eu l’accalmie. Et depuis 2008, nos produits ont commencé à faire leur apparition dans les supermarchés, les grands hôtels. Je souligne que j’ai commencé avec 5.000 FCFA. C’est vrai que je n’avais pas assez d’argent mais la transformation était un monde nouveau que j’explorais, donc il fallait éviter le maximum de risques avant de se lancer. A mesure que le temps passait, j’ai pris confiance en ce que je faisais, j’ai augmenté mon capital à 10.000 FCFA. 5.000 FCFA, ça fait 10 kilogrammes de mil, que je façonnais pour les mettre dans des sachets. Quand je les déposais dans les supers marchés, les gérants m’appelaient pour me demander de venir chercher mes produits parce que les clients n’en voulaient pas. Mais je leur disais à chaque fois que je suis convaincue qu’un jour ça va marcher. Et comme si c’était une prophétie, ça n’a pas mis du temps, ils ont commencé à m’appeler pour me dire que des clients en partance pour l’Europe, les Etats Unis, réclamaient mes produits. Progressivement, nos produits ont commencé à pénétrer le marché. Par la suite, j’ai passé mon capital à 15.000 puis 25.000 FCFA et le plus gros investissement que j’ai eu à faire dès le début de mon affaire, c’est 250.000 FCFA, pour acheter un séchoir parce qu’il s’avérait vraiment nécessaire pour sécher les produits que je transformais.

Quels sont les produits que vous transformez ?

Il y a du mil pour faire le bon « baca » (bouillie) de Cote- d’Ivoire. Avec le mil, on fait aussi du « dêguê » (semoule de mil) précuit. Quand il est séché, il suffit de le réhydrater et on obtient du couscous. Quand il est froid, on peut le mettre dans du lait ou du yaourt pour faire du dêguê prêt à la consommation.

Il y a aussi la farine infantile enrichie à base de nos céréales locales, mil, mais, riz, soja. On va jusqu’à faire du fonio précuit, qui est un aliment conseillé aux diabétiques, et qui prend de l’ampleur dans notre pays. Le fonio est un aliment qu’on avait abandonné et qui revient au goût du jour. C’est aussi ça le rôle de notre réseau, faire ressortir les valeurs nutritionnelles de nos pays.

Par ailleurs, nous faisons des farines panifiables c’est-à-dire on peut prendre notre farine de mil pour faire du pain, des cakes, des pizzas, et notre farine de maïs pour faire des madeleinettes, des crêpes. Pareille pour la farine de banane que nous avons mise à l’étude, et la farine d’igname. Nous faisons en ce moment de la farine de manioc blanche qui est différente du  »concondé » (poudre de manioc séché), qui peut être touchée par la moisissure. La farine de manioc blanche que nous produisons est dénuée de moisissure, pour la santé de nos consommateurs.

Parvenez-vous à exporter vos produits ?

Chaque fois qu’on me pose cette question, je réponds que nous devons d’abord couvrir le marché national, parce que le besoin est là. Quand on aura fini cette étape, on pourra penser à l’exportation. Il faut que nous arrivions à emmener l’Ivoirien à consommer ce qui est produit chez lui, nous devons consommer Ivoirien comme le disent souvent nos autorités depuis le temps d’Houphouët Boigny. Nous devons y revenir, parce que c’est ce qui va faire l’émergence de notre pays et nous rendre riche. Je dis riche parce que chaque entrepreneur doit vivre de son talent.

Parlant de  »consommer ivoirien », est-ce que vous bénéficiez d’un accompagnement de l’Etat dans vos activités ?

Le début a été difficile, vraiment difficile, mais aujourd’hui ça va. La preuve, j’ai été lauréate du prix national d’excellence 2017 pour mon initiative. J’ai été décorée. Tout ça c’est un accompagnement spirituel dont un entrepreneur a besoin pour avancer dans son activité. Nous bénéficions aussi de l’accompagnement des bailleurs. En ce moment même, je pilote un projet français, MUSOLA, pour la lutte contre la malnutrition en Afrique. Il s’agit d’installer des unités de transformation en Côte d’Ivoire et j’en suis la coordonnatrice. La transformation crée des emplois. Quand j’ai eu ce projet, j’ai approché une jeune fille diplômée qui produisait à domicile que j’ai insérée dans le projet et aujourd’hui, elle a sa propre unité de transformation ou elle emploie d’autres jeunes. J’ai également des employés, et quand on a de fortes demandes, je recours à des agents temporaires.

A-t-on besoin d’être diplômé pour faire ce que vous faites ?

Pas du tout. La formation c’est un plus mais ce n’est pas une obligation. Les femmes qui vendent de la bouillie de mil, des beignets, de la banane braisée, du mais grillé… c’est de la transformation qu’elles font. Et puis, on n’a pas besoin d’avoir beaucoup d’argent pour commencer. Moi je vous disais tantôt que j’ai commencé avec 5.000 FCFA. En tous cas j’encourage tous ceux qui veulent s’essayer à l’entrepreneuriat à ne pas hésiter, le réseau est là pour les accompagner.

RKO avec Jefferson Koudou/ ALERTE INFO